Origines familiales et influences extérieures

Portrait de Dulac âgé d’une cinquantaine d’années. (Collection particulière)

La souche familiale des Dulac se trouve profondément enracinée depuis les années 1560, en Beaujolais, dans la Vallée de l’Azergues, à Grandris, précisément, dans l’actuel département du Rhône. Tous les chefs de famille vont former une lignée presque ininterrompue de marchands prenant à ferme l’exploitation des domaines seigneuriaux des lieux et peut-être de leurs propres terres.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, au tronc commun des Dulac de Grandris, s’ajouteront deux nouvelles branches, celles des Dulac de Montbrison qui se fixeront plus tard à Lyon, formant une dynastie de juristes (dont est issue une Dulac, Marie-Cécile qui épousera le préfet de police de Paris, Louis Lépine (1846-1933), fondateur également du célèbre Concours, puis celle des Dulac de Tournus et plus tard de Savianges, branche à laquelle nous allons maintenant nous consacrer.

Jacques DULAC (1711-1781), l’ancêtre des Dulac de Savianges, certainement après des études de Droit, accèdera à la fonction de Contrôleur ambulant du Mâconnais puis à celle de Receveur général des Aides des Provinces. Il se fixera définitivement à Tournus en 1744. Il sera échevin de la cité, prenant ainsi, peu à peu, rang parmi les notables de la ville. En 1764, il se porte acquéreur pour son fils unique d’une charge de notaire et prend en 1765 à ferme les terres de la seigneurie de Savianges, amodiée la première fois pour neuf ans par la famille Thiard de Bissy-sur-Fley.

François DULAC (1725 ?-1786), fils de Jacques, sera tout d’abord Commissaire aux droits seigneuriaux (1758) pour l’établissement des indispensables Terriers de cette époque (en quelque sorte notre cadastre actuel) puis Fermier des Aides, comme son père (1763), avant d’assurer la charge de notaire royal à sa majorité requise.

Jean-Antoine DULAC, dit le Cadet (1764-1830), fils de François, désigné dans certains actes comme « bourgeois de Tournus » reprend quant à lui l’activité de fermage des terres de Savianges et de Bissy-sur-Fley. Il épouse Claudine Alacoque (1759-1820), en 1789, petite-nièce de la sainte de Paray-le-Monial. Dès 1782, l’Académicien Claude de Thiard (1721-1810), fait part de son souhait de se séparer de la seigneurie de Savianges. Ne pouvant s’en porter acquéreur seul, Dulac Cadet fait appel à Antoine Delavaivre, marchand à Genouilly, pour qu’ils puissent acheter en un seul bloc la seigneurie quelques années plus tard (1797). A la suite d’un tirage au sort, puis d’un partage amiable, Savianges revient à Jean-Antoine Dulac. La famille quitte alors Tournus pour s’installer définitivement à Savianges en 1802. Jean-Antoine sera le premier maire de la nouvelle commune de Savianges (1803) et le restera pendant 27 ans, jusqu’à sa mort.

Pierre-François, dit Antonin (1799-1839) fils du couple Dulac-Alacoque, sera le père trop vite disparu du futur architecte et sénateur François Dulac et de son unique sœur Joséphine (1839-1935).

François-Etienne DULAC (1834-1901)

François Dulac est né à Charolles le 17 octobre 1834, au domicile familial de sa mère Aline, née Gelin, domaine de Perche. Lorsque leur père décède à l’âge de 39 ans, un Conseil de famille nomme Charles-Antoine Goin (1800-1886), cousin du défunt par alliance, comme subrogé tuteur des deux enfants qui sont alors âgés, lui de quatre ans et elle, de trois mois seulement. Cette mission sera remplie avec exactitude et dévouement par celui qui deviendra maire de Charolles et conseiller général du canton. Il saura inculquer à ses deux pupilles le culte de la Res publica. La jeunesse de François et de sa sœur sera marquée par une série de deuils des êtres proches, notamment leur mère en 1857. À 23 ans, François se retrouve seul « chef de famille » avec sa sœur Joséphine, âgée de 17 ans.

La vocation politique avait été également prodiguée au futur sénateur par Aline GELIN (1801-1857), sa mère, petite-fille du Conventionnel, Jean-Marie Gelin (1741-1802) (1) ainsi que par son oncle, Louis Lataud (1784-1860), maire de Tournus.

Son futur beau-frère, Julien-Firmin Delangle (1835-1905), ancien élève de l’École des Beaux-Arts, par ses nombreuses relations dans le monde politique et culturel, notamment avec Charles et Louis Blanc, Gambetta et le frère d’Eugène Viollet-le-Duc, ne fera que confirmer ses choix, en matière d’art comme en matière de politique.

Sa vocation première d’architecte, il la doit sans aucun doute à son oncle et parrain, François-Marie Gelin (1803-1851), polytechnicien et capitaine du génie, qu’il verra concevoir et construire le pont en pierre de Savianges, après son retrait volontaire de l’Armée (2). La politique n’étant chez Dulac jamais éloignée de l’architecture, il sait que son parrain est un ami d’enfance d’Edgar Quinet.

Sera-t-il l’élève, le disciple ou un simple admirateur d’Eugène Viollet-le-Duc, l’autodidacte qui bannit la formation académique au profit du dessin sur site et de la connaissance des techniques reçues des compagnons dépositaires du savoir ancestral ? Autant de questions pour lesquelles nous n’avons pas à ce jour de réponse.

Un des oncles Dulac, pour avoir fait le « Grand Tour » initiatique, avait dû lui parler de l’Italie, mère de tous les Arts. À sa mort, en 1872, François Dulac trouvera un legs important de 10.000 francs de cet oncle, également bienfaiteur de sa ville de Seurre. La volonté du testateur portait sur la réfection par son neveu de l’église de Savianges ainsi que sur la restauration du mur du cimetière, ce qui fut fait mais avec beaucoup de péripéties, de résistance et d’imprévus

Léonard Berger (?-1872), son professeur de dessin, lui-même fils d’un des peintres officiels de la cour de Russie, membre de l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg,, qui ne cessa d’enseigner que le trait était à la base de tout l’Art décoratif et à la source même de l’architecture, sera également son maître à penser, même et plus curieusement, dans les questions de politique. Dulac qui se considérait comme son fils adoptif autant que comme son élève docile et dévoué, recevra avec étonnement et reconnaissance tout son héritage aussi bien moral que matériel (3).

De la vocation de « marchands » de ses ancêtres, François Dulac conservera le goût de la ruralité en exploitant lui-même ses terres et en fondant l’Union Agricole et Viticole de Chalon-sur-Saône (4) dont il restera président jusqu’à sa mort, livrant ainsi de nombreux articles spécialisés, comme par exemple sur la manière de pratiquer les greffes. Ses nombreux discours aux comices agricoles seront à la fois économiques, éducatifs et politiques.

Pratiquement de la même génération que le dijonnais Gustave Eiffel (1832-1933), était-il un de ses familiers sinon un de ses adeptes, en introduisant vers 1857 les poutrelles métalliques dans la structure des communs proches du château ? Sa nièce, Claire Delangle (1874-1955), amie intime de la fille préférée du père fondateur de la Tour, également prénommée Claire, pourrait le laisser penser.

Resté célibataire, de nature douce et accommodante, Dulac est intérieurement la volonté personnifiée qui se traduit par une force de conviction et de persuasion, atouts naturels pour la concrétisation de tous ses objectifs. Il les conçoit en effet de la manière la plus claire avec la plus grande économie de moyens. Son écriture fine et régulière, malgré les pages et les pages d’écriture, ne traduira jamais aucune forme de lassitude sinon la parfaite rectitude de ses idées. Il n’eut pas d’élèves et nous ne lui connaissons que deux collaborateurs épisodiques connus, un secrétaire et un architecte, mais seulement après que la maladie et l’usure au travail n’aient commencé à le ronger physiquement.

Contrairement à son rôle important au Sénat de Rapporteur et de Président de commissions, en vue du financement des grandes infrastructures dans la France entière pour les travaux publics comme pour la création des réseaux de Chemins de fer, son œuvre architecturale, qu’elle soit scolaire ou non, reste totalement circonscrite au seul département de Saône-et-Loire.

En politique, son exemple sera poursuivi, mais en partie seulement, par Claude Blanchard (1866-1956). C’est un enfant du pays, né à Savianges que Dulac a toujours soutenu moralement et financièrement : instituteur, directeur d’école, puis inspecteur, élu maire de Mâcon (1925 à 1937), coopté Président des maires de Saône-et-Loire et entre temps élu Conseiller général du canton de Mâcon sud (1933).

Pour François Dulac, la carrière d’homme public, faite de trente années, autant consacrées à la mairie de Savianges qu’au Conseil général et en partie au Sénat (5) ; sans parler de ses autres fonctions aussi accaparantes les unes que les autres ; son œuvre architecturale importante qui n’est pas exclusivement que scolaire ; toute une vie de travail incessant pour toutes ces activités multiples, toujours menées de front, toujours scrupuleusement maintenues indépendantes les unes des autres ; le tout mis au profit d’une politique de l’Éducation solidement édifiée et d’un Progrès social et économique voulu au service de l’Homme et à son élévation, restent et resteront un exemple particulièrement remarquable.

En politique comme en architecture, François Dulac doit être considéré désormais comme un des bâtisseurs, discrets mais importants, de la Troisième République, ceux-là mêmes qui ont donné à la France son visage actuel.

(1) Voir « Un régicide charolais, Jean-Marie GELIN ». Annales de l’Académie de Mâcon, 1979.

(2) Voir « Servitude militaire du capitaine GELIN (1803-1851), républicain sous la Restauration et la Monarchie de Juillet ». Annales de l’Académie de Mâcon, 1982 et 1983.

(3) C’est à Léonard Berger que l’on doit notamment le portrait de Nicéphore Niepce exposé à Chalon au Musée de la photographie.

(4) L’Union Agricole et Viticole de Chalon-sur-Saône existe toujours. Cette association est en particulier organisatrice du Concours renommé des Vins de Mâcon, chaque année.

(5) Dulac était inscrit au sein de la Gauche démocratique, mouvement toujours représenté au Sénat depuis 1892. Georges Clemenceau, Edouard Herriot, Gaston Monnerville, Alain Poher, Edgar Faure et bien d’autres furent parmi les principales figures historiques de cette « famille politique ».